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les vies minuscules de madame H.
2 novembre 2011

d'autres vies que la mienne

 

D’Emmanuel Carrère, je connaissais les portraits en blouson de cuir et la réputation de mec cool qui fait fie des conventions. J’avais été séduite par la manière dont l’une de mes collègues de travail était entrée en contact avec lui : il avait donné uneadresse mail dans l’un de ses romans. Elle lui avait écrit et il avait répondu bien longtemps après ; mais tout de même, quel écrivain vous laisse sescoordonnées ? Bref, cette personnalité là me plaisait.

D’Emmanuel Carrère, je connaissais les dix premières pages d’Autres vies que la mienne, mais pas plus.
Deux mois après avoir accouché de Salomé, lire la disparition d’une petite fille, la douleur de sa mère et des siens, c’était trop dur. Vous souvenez-vous du Kourks, ce sous-marin russe qui a coulé avec tout son équipage il y a environ quinze ans ? Les pauvres garçons ne pouvaient pas être sauvés et allaient vers une mort certaine, prisonniers de la sombre carcasse de métal. La presse en a fait un battage monstre et moi, j’ai joué les Cassandre pendant plusieurs jours, obsédée par leur mort et la peur de leur lente agonie. Jusqu’à ce que Mamicole ne me prive d’informations. Bref, revenons à notre roman… Je sanglotais, le livre entre les mains, comme si cette vie brisée était la mienne. Pourtant, je reconnaissais déjà que l’écrivain faisait preuve de grandeur d’âme en évitant tout pathos. Mais bon, cœur de mère a besoin de repos, je rendis le livre à la bibliothèque.

Emmanuel-Carrere_Baltel-Sipa

Ce n’est qu’il y a un mois que je décidai qu’il était temps pour moi de rouvrir ce livre, d’affronter ses démons et d’en ressortir vainqueur. Comme j’ai bien fait ! Quel étrange objet que cet ouvrage, quel étrange auteur qu’Emmanuel Carrère ! Au départ, il y a ce livre de deuil qui utilise la matière personnelle pour la transcender. C’est moins poétique que dans Sarinagara de Philippe Forest ( Ah, ce livre ! Un chef d’œuvre, dont je n’ai jamais pu parler faute de mots… Silence imposé par les plus grands ! ), mais c’est un mélange détonant de minutie, de précision et de témoignage vibrant, dans lequel l’auteur-narrateur s’affuble de la personnalité du médiocre confronté à des événements qui le dépassent et face auxquels il n’est pas à la hauteur. Puis, vient la biographie de sa belle-sœur, ignorée de lui jusqu’à sa mort, et qui serait passée inaperçue si l’un de ses amis ne lui avait pas consacré une drôle d’oraison funèbre, déclaration d’amour platonique cachée sous les oripeaux d’une dissertation de philo : Qu’est-ce qu’être un grand juge ? Eh bien, si je n’ai pas vraiment trouvé la réponse dans ce qui a suivi, je peux vous dire que j’ai su, par contre, ce qu’est un grand écrivain. C’est quelqu’un qui, tel Emmanuel Carrère, vous embarque dès la première page, dans une série d’histoires dont vous ne saisissez pas forcément les liens, qui ne vous lâche pas et qui parvient à vous passionner avec l’histoire des textes de lois. Si, si ! Et pourtant, je peux vous assurer que le mot droit suscite en moi une insupportable envie de dormir… Dans ce roman, on vit
la succession des textes comme une véritable épopée, on explose de joie à la lecture des ruses des magistrats pour déboulonner les organismes tels que Cofinoga, on exulte face aux petites batailles qui se jouent dans les petits tribunaux de province mal reconnus.

J’ai une grande réticence face à ce courant qui fait que beaucoup d’écrivains exposent leurs vies sur la place publique, mais je sais extraire le bon grain de l’ivraie. Si Emmanuel Carrère ne s’est pas montré à la hauteur du Tsunami lorsqu’il l’a vécu ( mais ça, il n’y a que lui pour le savoir ), il s’est montré digne de la confiance de ses proches en écrivant ce livre splendide.

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